Qu’est ce qui se mijote ?

Un secteur en tension : entre abondance et fragilité

22,3m : la longueur d’un menu listant l’intégralité de l’offre du midi d’Uber Eats. Une œuvre symbolique qui interroge sur la profusion de restaurants et la difficulté de se démarquer dans un environnement saturé.

Le marché de la restauration illustre parfaitement cette tension. D’un côté, une offre en pleine expansion (+12,7% du nombre d’établissements en 5 ans en France) et de l’autre, une demande en recul, marquée par une baisse de fréquentation de 15 à 20% selon l’UMIH. Ce déséquilibre alimente une fragilité du secteur avec 7 200 fermetures en 2023 et un turn-over record. Dans ce contexte, l’enjeu n’est plus seulement d’exister, mais de se rendre désirable dans un univers d’abondance.

RESTAURATION ET RéSEAUX SOCIAUX : QUAND LA NOUVEAUTé DEVIENT COURSE à LA TENDANCE

A l’ère de réseaux sociaux, aller au restaurant devient une succession rapide d’expériences, dictée par une quête de nouveauté et d’intensité émotionnelle ; une sorte de scroll infini version food. Sur TikTok, la section #FoodTok illustre parfaitement ce phénomène : des recettes ou adresses deviennent virales en quelques heures, provoquant ruptures de stock et files d’attente interminables. L’exemple du « crookie », popularisé par le créateur de contenus français Johan Papz, en est une parfaite incarnation. Les réseaux sociaux transforment chaque nouveauté en phénomène éphémère, faisant des consommateurs des chasseurs de tendances culinaires. Plus extrême encore, l’application Beli pousse cette logique à son paroxysme, en transformant la dégustation en performance. Son système de notation et de feed pour recenser ses expériences valorise davantage l’accumulation que la qualité des informations fournies.

Si par nature l’air du temps évolue sans cesse, suivre une vague déjà installée revient à courir après le train. Les marques et acteurs de l’hospitalité doivent désormais anticiper, détecter les signaux faibles et agir avant que la nouveauté ne devienne trop mainstream.

LA DéCOUVERTE COMME VECTEUR PRINCIPAL DE DéSIRABILITé

Pour séduire des consommateurs en quête constante de nouveauté, les acteurs de l’hospitalité doivent sans cesse se réinventer et proposer des expériences capables d’éveiller la curiosité. La découverte devient ainsi le moteur central de la désirabilité.

Une exploration des saveurs  

Cette recherche de nouveauté se manifeste aussi dans l’assiette. La montée en puissance des cuisines fusion, de la richesse des cuisines asiatiques, ou, comme le prévoit le rapport Juicy Brick, des cuisines africaines, reflète cette curiosité : explorer l’ailleurs par de nouvelles saveurs.

à chaque concept sa tendance

Le concept devient un levier stratégique pour se distinguer. Restaurants mono-produit, formats atypiques, déclinaisons autour d’un même ingrédient ou inspirations venues de l’étranger : autant d’initiatives qui permettent de renouveler l’expérience. À l’image de Slice Pizza Club, qui revisite la pizza à la part façon New York, ces lieux réinventent les codes de la restauration tout en répondant aux nouvelles attentes des consommateurs.

L’ère de l’éphémère

L’exclusivité joue également un rôle dans cette volonté de découverte. Les pop-ups et collaborations spéciales se multiplient pour offrir des expériences uniques et limitées dans le temps, où chaque événement devient un rendez-vous singulier impossible à reproduire. Des initiatives comme la résidence de Quentin Mauro à Bonhomie , les créations inattendues Gisou X Cédric Grollet ou encore le café de Milia Matcha ouvert seulement trois jours, cultivent cette volonté de surprendre sans se répéter.

Une dégustation par les yeux

L’émerveillement ne passe plus uniquement par le goût. C’est le crédo de Julien Sebban, architecte et designer, qui souligne sa volonté de créer de l’émotion dans le design des lieux d’hospitalité, en imaginant un environnement joyeux. Sa vision se prolonge généralement jusque sur la devanture, transformée en premier contact de cette promesse sensorielle. En misant sur l’expérience architecturale, les nouveaux lieux « design » proposent ainsi une dimension supplémentaire, où l’esthétique et l’atmosphère participent autant à l’expérience que la cuisine elle-même.

De gauche à droite : Café Nuances, Taco Mesa, Koibird Londres, Forest Marseille et Merci Internet par Julien Sebban 

Un retour à l’authenticité

Enfin, l’impérieux désir de nouveautés et de découvertes ne s’oppose pas toujours à la tradition. Un mouvement inverse émerge avec une popularité croissante aux retours à des lieux simples, qui invitent à redécouvrir l’authenticité : 6,90, les bouillons ou encore le boom des PMU. Ces espaces, autrefois partie intégrante de la routine des Français, démontrent que l’hospitalité joue un rôle central dans la socialisation et la convivialité.

 

VERS DES LIEUX QUI RAPPROCHENT : RéINVENTER LE LIEN SOCIAL PAR L’HOSPITALITé

Cette recherche d’authenticité n’est pas anodine et traduit un besoin de sociabilisation accrue, particulièrement chez les jeunes générations. Les adeptes du no-low et d’une consommation festive plus raisonnée cherchant de leur côté à renouveler les moments de convivialité à l’extérieur.
Cette dynamique donne naissance à une nouvelle forme d’hospitalité internalisée où particuliers et associations organisent des dîners à thème, allant parfois jusqu’à l’ouverture d’un micro-coffee-shop chez eux. Face à ces évolutions, les acteurs de l’hospitalité doivent composer avec ces nouvelles tendances en réinterprétant des conditions propices à la convivialité.

Dîner sur la plage aux Philippines

Contiki, Tour Opérateur international pour les 18-35 ans, offre des expériences food conviviales qui rassemblent

Une ambiance « comme à la maison »

Une vague de restaurants mise sur les assiettes à partager et les grandes tablées pour favoriser la convivialité tandis que d’autres renouent avec la culture des speakeasys à l’ambiance sombre et feutrée qui célèbrent des moments plus intimes et chaleureux. L’objectif reste le même : transformer le repas en moment social, où le lien entre les convives devient central.

La diversité culinaire pour une convivialité partagée

Parfois ce n’est pas la disposition mais la diversité des saveurs qui crée ce lien : celui qui réunit autour d’une même table des goûts et des envies différentes. Le modèle des food-courts repose sur cette pluralité : chacun choisit son repas, mais tous partagent le même espace. À l’image de Food Society, qui réunit une dizaine de restaurants sur 3 500 m², ces lieux transforment la diversité culinaire en moment collectif.

La fête, levier de rassemblement

Au-delà de l’offre F&B, certains lieux investissent l’expérience et la fête comme moyen de se regrouper et de se reconnecter. Qu’il s’agisse de bakery raves ou de restaurants festifs, ces moments chaleureux incitent à profiter, partager et se rapprocher en ouvrant de nouveaux espaces de socialisation. La fête devient ainsi un outil pour repenser l’hospitalité et la restauration.

De restaurants à « lieux lifestyle »

Finalement, par la diversification de l’expérience réceptive, ces espaces deviennent de vrais lieux de vie intégrés au quotidien : réparer son vélo en buvant un café, ou encore se faire coiffer après un brunch. Ces lieux incitent à partager bien plus qu’un repas en reprenant le temps de consommer et de se reconnecter. Portée notamment par les marques de mode, cette hybridation de l’hospitalité et du commerce révèle de nouvelles opportunités de financement et de diversification.

 

La recette des marques

convevoir des espaces propices à la reconnexion

1/ QUAND LE BAR DEVIENT HÔTEL : UN LIEU COMMUNAUTAIRE POUR UNE EXPéRIENCE UNIFIéE

Le Lafayette Hotel à San Diego illustre comment certains bars à cocktails étendent leur univers en ouvrant leurs propres hôtels pour élargir leur communauté. En transformant l’expérience du bar en séjour immersif, l’enseigne attire à la fois les voyageurs et les locaux, et fait du lieu un véritable espace de vie sociale. Les opérateurs tirent parti de leur expertise en bar et restaurant pour gérer plus facilement les opérations hôtelières, et offrir une expérience client unifiée.

2/ ENCOURAGER LA DéCONNEXION VOLONTAIRE

L’association The Offline Club invite à « échanger son temps d’écran contre du temps réel », et concrétise cette promesse avec l’ouverture d’un café pop-up sans téléphone à Amsterdam. Le lieu propose diverses activités — dessin, jeux, lectures ou simples échanges — pour favoriser la rencontre et la convivialité entre les participants et se place comme initiateur de moments de reconnexion.

3/ RAPPROCHER LES COMMUNAUTéS PAR L’EXPéRIENCE COLLECTIVE

Rassembler 400 convives sur une table géante dans la rue à l’occasion de la Fête des Voisins : c’est l’idée de La Grande Tablée organisée par Big Mamma, Bouillon Pigalle et la Machine du Moulin Rouge pour inviter chacun à découvrir ses voisins. Cette initiative vise non seulement à célébrer la vie de quartier, mais aussi à fédérer deux communautés entre habitants locaux et clients des restaurants, en ouvrant la voie à un temps privilégié d’échanges et de rencontres.

EN CONCLUSION

Face à un secteur en mutation, l’avenir de l’hospitalité semble se dessiner autour d’une idée simple : rassembler. Entre digitalisation, quête de sens et retour à l’authenticité, les lieux de demain seront ceux qui sauront recréer du lien – humain, durable et sincère.

 

Parole de Pros

UNE HYBRIDATION DE L’HOSPITALITé AU SERVICE DU LIEN SOCIAL

« L’avenir du secteur de l’hospitalité repose sur la connexion : les supper clubs, les dîners organisés et les expériences comme Timeleft prouvent que le secteur ne se limite pas à la nourriture ou au service, mais vise à rassembler les gens de manière significative. »

Aya Tohme, Marketing Manager chez Timeleft